“Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans divertissement, sans application.”
Blaise Pascal
Pensées n°131; éd. Brunschvicg
1er juillet
Bientôt les congés d’été, souvent tant attendus ! Récemment, le magazine 20 minutes titrait : « Vacances d’été 2019 : Les Français toujours prêts à partir loin, malgré leurs préoccupations écologiques ». Tandis que la compagnie Air France lance une campagne publicitaire controversée autour du slogan « Plus la température monte, plus les prix baissent sur la France », alors même que le transport aérien représente 5 % des émissions actuelles de C02. Comment expliquer que le besoin d’ailleurs l’emporte encore sur la conscience écologique ? Se peut-il que notre conception même des vacances ne nous permette pas d’aller vers une sobriété pourtant souhaitable ?
Un certain Jean-Jacques Rousseau déplorait déjà en son temps : « le citoyen toujours actif sue, s’agite, se tourmente sans cesse pour chercher des occupations encore plus laborieuses : il travaille jusqu’à la mort, il y court même pour se mettre en état de vivre » (1). Qu’est-ce que cet activisme nous raconte de notre rapport à nous-mêmes ? Serions-nous incapable d’une véritable vacance du faire ? Dans une société où il faut tant faire et montrer qu’on fait pour être – expliquant en partie aussi notre rapport au travail, cela ne serait guère étonnant. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Les philosophes de l’Antiquité grecque sont connus pour leur mépris du travail à la faveur de la vie contemplative (2). Ils désignaient la vie active par le terme privatif a-skholia. Skholè signifie bien « scolaire », au sens du temps de la theoria (donc de la contemplation des Idées), mais le terme désigne plus généralement une trêve, un répit, une suspension des affairements de la vie quotidienne.
Mais force est de constater que le repos, visé par l’homme moderne dans ses fameuses vacances, il ne le prend pas, ou peu, dans la contemplation. Nous attendons encore de nos vacances qu’elles nous divertissent. Or le divertissement est une diversion qui en dit long sur la nature humaine. C’est du moins la réflexion que s’est fait le philosophe Blaise Pascal. Être de désirs qui ne trouvent jamais pleinement satisfaction, l’homme ne cesse de les projeter dans des activités diverses, des plus sérieuses aux plus frivoles. Au fond, tout divertit l’homme, au sens où tout lui permet de se détourner de lui-même, de s’étourdir, de s’oublier. Sans divertissement, l’homme est repris par l’ennui de son vide ou l’angoisse de son impuissance. Ainsi Pascal écrit-il : « Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir. »
Pascal ne condamne pas le divertissement en lui-même et reconnaît volontiers son utilité, mais il se désole que l’être humain prenne tant au sérieux des activités qui le font exister hors de lui et qui le détourne de ce qui pourrait véritablement le sauver. Le divertissement est affaire de scène imaginaire sur laquelle chacun est masqué, de fantasme d’une vie où l’homme s’abuse lui-même autant qu’il est abusé, de comédie sociale où le paraître l’emporte. Il faut dire et montrer que l’on a passé des vacances réussies – partir loin pour se dépayser, expérimenter des choses inédites, multiplier les plaisirs, ou au contraire ne rien faire, ou plutôt faire ce que l’on a toujours fait (surfer sur internet, voir des amis, s’occuper de ses enfants…), le travail en moins.
Si nos vacances sont toujours au pluriel, ce n’est pas parce que le travail cesse plusieurs jours, mais parce qu’elles renvoient à la diversité du divertissement. Or il suffit que le mot passe au singulier pour nous faire concevoir ce temps autrement. « Vacance » vient du latin vacare et désigne un état : être sans, vide, inoccupé. Et comme « la nature a horreur du vide » (3), nous remplissons ce vide d’activités. Mais remplissage n’est pas plénitude et vide n’est pas néant. L’été arrivant, peut-être pouvons-nous essayer de nous offrir une véritable vacance, un repos récréatif qui soit littéralement re-créatif, un sanctuaire de la conscience, « une vacance bienfaisante, qui rend l’esprit à sa liberté propre » (4).
Marion Genaivre
(1) J.-J. ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Paris, 1755, rééd. par J. ROGER, Paris, Garnier-Flammarion, 1971, p. 233
(2) Aristote considérait la contemplation, la théôriâ, comme le degré le plus avancé de l’esprit, ce par quoi l’homme participe au divin.
(3) Ce célèbre aphorisme est d’Aristote.
(4) Paul Valéry, Variétés, Paris, Gallimard 1978
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