“ Dis-toi quel genre de personne tu veux être, et agis en conséquence dans tout ce que tu fais.”
Epictète
Entretiens, Livre III, chapitre III
10 décembre
La COP25 s’est ouverte lundi 2 décembre à Madrid. Selon l’ONU, 2019 fut l’une des années les plus chaudes depuis 1850. La calotte glacière continue de fondre au Groenland, les sécheresses en Australie sont sévères, et les feux de forêt en Sibérie et en Indonésie, dévastateurs. Plus de 10 millions de personnes ont dû changer de lieu de vie à cause de dérèglements climatiques. Les nations se réunissent pour trouver des solutions, mais qu’en est-il de chacun d’entre nous, en tant que citoyens ?
La question aurait semblé saugrenue à des philosophes stoïciens comme Sénèque ou Epictète. Mais depuis, le pouvoir de l’homme sur la nature est devenu si évident que la question de ce qui dépend de nous ou non est plus que d’actualité. « Parmi les choses qui existent, les unes dépendent de nous, les autres ne dépendent pas de nous. Dépendent de nous : jugement de valeur, impulsion à agir, aversion, en un mot, tout ce qui est notre affaire à nous. » (1) Epictète ne parle de rien d’autre que de discernement.
Ce n’est certes pas moi qui ai initié le changement climatique, mais je sais que mon mode de vie européen dans une grande ville contribue au phénomène de manière importante. Sans être responsable de tout, j’ai quand même ma part, à commencer par le fait de reconsidérer mon mode de vie et son impact écologique.
Il y a à l’évidence de plus grands pollueurs que moi. Et même si la question « les plus grands pollueurs devraient-ils faire les plus grands efforts ? » est légitime (et que les institutions doivent agir), elle laisse chacun d’entre nous avec l’idée qu’il n’y a rien d’autre à faire que de transférer la responsabilité à d’autres, plus puissants que nous. Une suggestion plus utile me semble venir d’Epictète : « Dis-toi quel genre de personne tu veux être, et agis en conséquence dans tout ce que tu fais.(2) »
Une fois posé que j’aimerais être une citoyenne responsable qui contribue à rendre le monde plus vivable et plus sain, qu’est-ce qui est en mon pouvoir ? Ce qui dépend de moi, c’est tout d’abord de me poser les bonnes questions. J’ai calculé que mes déplacements en avion l’an dernier ont constitué un peu moins de la moitié de mes émissions globales de CO2. Alors j’ai pris la résolution, fin 2018, de me poser les questions suivantes avant chaque voyage :
- Est-ce que je peux ne pas faire ce voyage ?
- Est-ce que je peux voyager différemment, avec une empreinte carbone plus légère ?
- Qu’est-ce que je peux faire à propos des vols que je décide quand même de prendre ?
Pour être honnête, je pourrais ne pas faire tous les voyages que je fais. Mais à quoi suis-je prête à renoncer ? Puis-je voyager différemment ? En Europe, oui. Un Paris-Rome prendrait une journée entière en train. Il me faudrait reconsidérer l’idée que la vitesse est une bonne chose.
« Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur les choses». (3) Epictète encore. Et comme ce qui dépend de nous, ce sont les jugements que nous portons sur ces choses (les notions de bien et de mal ne sont que des jugements, nous diront les stoïciens), je pourrais revoir ma conception de la vitesse, ou de l’idée de « gagner du temps » est une bonne chose. Renversement : et si c’était prendre le temps de voyager qui était une bonne chose ? Se sentir partir, transformer l’ennui en contemplation, prendre ce temps précieux de voyage pour lire et pour écrire ? En Europe, c’est décidé, je voyagerai en train.
Et l’avion ? Il n’y pas de « compagnies aériennes vertes » pour l’instant, mais je pourrais compenser mes émissions de CO2, c’est-à-dire financer une ONG qui replante des arbres, pour absorber l’équivalent du CO2 que j’ai émis par mes vols. Changer d’habitude a un coût – qu’il soit financier ou non.
Au final, la question la plus importante que nous posent les philosophes est la suivante : « suis-je prête à vivre en accord avec ce en quoi je crois ? » Cela commence avec de petits pas, quelque chose qu’il nous est possible de réaliser. Pour être champion de course à pied, il faut commencer par courir.
J’ai donc dit à mon ami : « Nous avons sur certaines choses beaucoup plus de pouvoir que nous le pensons (sur nos jugements, nos actions, nos désirs…). Et sur certaines autres, beaucoup moins (le résultat final de nos actions, ce que les autres vont décider de faire…). » Si la COP 25 était l’occasion pour chacun d’entre nous d’acter dans nos vies ne serait-ce qu’un seul changement de perspective, quel serait-il ?
Flora Bernard
(1) Manuel d’Epictète. Le livre de poche, 2000. Traduction de Pierre Hadot.
(2) Epictète, Entretiens, Livre III, chapitre III. Traduction de l’anglais par F. Bernard
(3) Manuel d’Epictète. Le livre de poche, 2000. Traduction de Pierre Hadot.
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